L’ère de la relation synthétique

Écrit par Catherine Mathys le 23 mai 2023  •   •  • 

L’intelligence artificielle générative ne laisse personne indifférent. On savait que la technologie progresse depuis des années mais pour la plupart d’entre nous, l’IA restait mystérieuse, bien cachée sous le capot de nos applications préférées. 

Or, après des décennies à nous faire dire que pour faire fonctionner une machine, on doit parler son langage, voilà que la machine comprend le nôtre. C’est ce qui participe à l’angoisse et l’engouement. L’IA générative est un type d’intelligence artificielle modélisée à partir d’une grande banque de données et qui peut générer du contenu original, tout ça avec une simple commande en langage naturel. 

Ça ne représente pas une percée scientifique, en soi. C’est ce qui pousse des experts comme Yann Le Cun, pionnier de l’apprentissage profond aux côtés de Yoshua Bengio et Geoffrey Hinton, à dire, en parlant de Chat GPT, qu’il n’y a rien de révolutionnaire en soi. D’ailleurs, la plupart de ces outils connaissent des ratés, tout n’est pas tout à fait au point. Ce sont des modèles que nous contribuons à raffiner chaque fois que nous les utilisons. 

Ce qui distingue le contexte actuel, c’est que tout le monde se retrouve avec un nouveau jouet entre les mains qui fonctionne avec un des aspects les plus naturels chez l’humain, la conversation. Et c’est avec cette dernière que se forment nos relations, c’est comme ça qu’on crée du lien. Et dieu sait qu’on en a besoin de ces liens. 

Je lisais dans l’excellente infolettre de Rex Woodbury, la semaine dernière, qu’on serait aux prises avec une épidémie de solitude et que la génération Z serait la principale concernée. Comme il le mentionne, il existe déjà plusieurs modèles d’IA qui sont développés spécifiquement pour créer du lien et qui semblent atteindre leur cible plutôt facilement. Prenez l’influenceuse Caryn Marjorie qui affirmait le 20 mai dernier avoir 20 000 amoureux via son chatbot CarynAI qu’elle présente comme un remède à la solitude. En effet, elle a entraîné une IA avec sa voix et ses vidéos pour générer de nouvelles conversations, et donc de nouvelles relations, à la demande, pour 1$ la minute. La marchandisation du lien ne fait probablement que commencer. 

Dans le balado de Tristan Harris du Center for Humane Technology, Your Undivided Attention, on rappelle que la technologie a longtemps joué un rôle d’intermédiaire entre humains et donc entre des relations qu’on considère réelles. Et si les machines faisaient désormais partie de ces relations? Et si les relations aux machines étaient normalisées et qu’elles faisaient partie de la variété de relations différentes que nous sommes en mesure de développer. Il y aurait bien sûr toujours les relations humaines mais aussi les relations aux animaux, à la nature, aux machines, etc. 

Ce passage du balado en particulier porte à réfléchir et évoque ce passage de l’économie de l’attention à l’économie de la relation. Selon les auteurs, on choisira bientôt nos activités en ligne, non plus en fonction du réseau humain auquel il nous permet d’accéder, mais bien en fonction de la qualité de la relation synthétique qu’il nous permet de développer: 

«Au cours de l’année à venir, il y aura des centaines, voire des milliers, voire des dizaines de milliers de startups qui vont créer des chatbots, des relations synthétiques, des enseignants synthétiques, des thérapeutes synthétiques, et bien d’autres choses encore. Et elles auront un pouvoir de relation sur nous. Elles vont réellement nous influencer. Et si nous laissons simplement toutes ces relations synthétiques suivre le modèle de l’économie de l’engagement, alors c’est une course qui se servira de l’intimité comme arme. Cela rendra tous les maux causés par les médias sociaux insignifiants et minimes, alors qu’ils ne le sont pas.»

Éditorial initialement publié dans notre infolettre Télescope 01.