Télescope

L’équipe de la Société des demains est constamment à l'affût de signaux du futur, ces bribes de possibilités et indices de changements. C’est ici, dans Télescope, que nous répertorions les signaux les plus utiles, ainsi que les tendances et conclusions que nous en dégageons. Que ce soit par l’infolettre du même nom – envoyée aux deux semaines – ou directement sur cette page, restez au courant de nos explorations.

Télescope 27

Écrit par La Société des demains le 10 juillet 2024

Qu’est-ce que la prospective créative ?

Cet article au Réseau Université de la Pluralité propose une distinction entre « anticipation pour le futur », plus utilisée par les entreprises, et « l’anticipation pour l’émergence » qui se concentre, elle, sur la nouveauté. Selon nous, il y a en fait un croisement assez important entre les deux, mais cette élaboration de la prospective créative en vaut la peine. 

La prospective créative se concentre sur la libération de l’imagination et l’exploration de nouvelles possibilités radicales. Elle vise à transformer les conditions du changement en travaillant sur des dynamiques ouvertes. Cette approche considère le futur comme une capacité de transformation et encourage la diversité de visions du monde et des cultures. En s’appuyant sur des pratiques telles que le design fiction et la prospective narrative, elle cherche à ouvrir les esprits à des futurs radicalement différents.

La ville sensée et intelligible

Les cartes (topographiques, géographiques, etc.) jouent un rôle important dans notre compréhension du monde en nous permettant d’y projeter nos propres expériences. L’imbrication de la technologie numérique et de l’espace physique a transformé les villes, élargissant leur portée grâce à des jumeaux numériques qui sont désormais inséparables de leurs homologues physiques. Alors que nous naviguons dans cet environnement hybride, il est essentiel de prendre en compte les interactions complexes entre la technologie, l’aménagement urbain et les expériences humaines pour imaginer la ville du futur. L’évolution des cartes en tant qu’infrastructure souligne l’importance de reconnaître leurs biais et leurs limites, ce qui nous incite à faire preuve de prudence lorsque nous nous fions à elles pour façonner nos perceptions et nos décisions.

Comment réparer le « péché originel » de l’IA

Dans cet article, l’auteur explique bien les complexités entourant les questions de droit d’auteur dans le monde de l’IA, en se concentrant particulièrement sur les modèles d’IA entraînés sur des contenus protégés par le droit d’auteur. Il souligne la nécessité pour les développeurs d’IA de respecter les « signaux de droit d’auteur » (l’intention réelle et les licences ou permissions) et de travailler à la création d’une nouvelle économie de l’IA qui récompense la création de contenu. 


J’ai porté des Meta Ray-Bans à Montréal pour tester leurs capacités de traduction de l’IA. Cela ne s’est pas très bien passé. Signalisation routière, cônes, application qui traduit l’écriture, mais pas le son de la voix, les bugs et limitations se sont avérés nombreux.

Penser hors du cône. Le cône des futurs évidemment, pas ceux sur nos routes comme ci-dessus. L’auteur propose un modèle encore plus ouvert, qui se prête aux développements exponentiels et aux idées invraisemblables, parce que « si nous voulons vraiment explorer l’espace des futurs de manière expansive, nous devons passer par des futurs qui, du point de vue actuel, sont impossibles. »

Les « troisièmes lieux » commerciaux sont-ils en voie de disparition? Les cafés se multiplient et, malgré cela, la plupart semblent quand même toujours occupés, souvent par une foule de gens avec des portables. Certains cafés prennent différentes mesures pour limiter le temps de « squattage » ou encourager la consommation. Ici, l’auteur nous présente le concept du troisième lieu et comment certains commerces se lancent maintenant dans une direction lui étant opposée.

Photo par Brian McGowan sur Unsplash

Comment la loi d’Amara permet-elle de mieux comprendre notre époque?

Écrit par Catherine Mathys le 26 juin 2024

Roy Amara était cofondateur de l’Institute for the Future à Palo Alto, dans la Silicon Valley. Dans le domaine de la prospective, ce sont des pionniers d’une méthodologie qui permet de réfléchir de manière constructive et systématique au futur. 

Roy Amara est surtout connu pour son adage, désormais appelé la loi d’Amara :

Nous avons tendance à surestimer l’effet d’une technologie à court terme et à sous-estimer son effet à long terme.

C’est une phrase qui en dit long et qu’on peut interpréter de différentes manières mais en somme, elle revient à dire que nous nous sommes souvent trompés quand il s’agit d’évaluer l’impact réel d’une technologie dans nos vies. 

En technologie, il existe tout plein de ces « lois » qui nous permettent d’illustrer certains phénomènes. La plus connue et sans doute celle dont vous avez déjà entendu parler est la loi de Moore. 

Cette loi stipule que le nombre de transistors sur une puce double tous les deux ans. Bien qu’elle ne soit pas prouvée scientifiquement, il s’agit d’une observation et d’une extrapolation qui se sont maintenues depuis 1965. On a plusieurs fois annoncé la mort de cette loi mais elle est toujours d’actualité puisqu’on continue toujours de miniaturiser. 

Quels seraient des exemples où la loi d’Amara s’est appliquée?

Il y en a plusieurs. C’est justement ce qui donne sa pertinence à ce principe de surestimation à court terme et sous-estimation à long-terme. 

Commençons par un exemple plus vieux: La course à l’Espace. C’est une course dont l’objectif était de réaliser l’un des plus grands rêves de l’humanité : envoyer des hommes sur la Lune. L’URSS a remporté les premières victoires en mettant Spoutnik 1 en orbite en octobre 1957 et en envoyant le premier homme dans l’Espace en avril 1961. En réponse, en mai 1961, le président Kennedy a lancé à sa nation le défi d’envoyer un homme sur la Lune avant 1970. C’est un défi qui a passionné le monde entier mais qui a aussi séduit l’opinion publique… pour un temps.

Dans cet enthousiasme vif puis faiblissant, on a peu considéré les effets à long-terme. L’angle de la course EU-URSS a pris toute la place et on a vite oublié que l’accélération de l’innovation technologique qui en a découlé aurait un réel impact sur notre quotidien à long-terme. 

Maintenant, il y a toute une économie de l’Espace qui se met en place. Le Forum économique mondial parle d’un marché de 1.8 billions de dollars en 2035 (1000 milliards). Bref, on a pensé que la plus grande innovation était celle des années 60 mais on n’a probablement encore rien vu. 

Un exemple plus récent de l’application de la loi d’Amara? On a moins de distance avec le sujet mais il est tout de même possible d’en tirer des leçons. 
Vous vous souvenez de Clubhouse ? En 2021, tout le monde parlait de l’application audio Clubhouse, un genre de réseau social sans images. On avait l’impression de réinventer les réseaux sociaux, de faire du neuf avec du vieux. On attendait notre invitation avec impatience. On se sentait choisi quand on pouvait enfin accéder aux fameux salons de discussions. Voici ce qui illustre la première partie de l’adage: nous avons tendance à surestimer l’effet d’une technologie à court terme. 

C’était sympathique le temps que ça a duré mais on est passé à autre chose, mais cela rend-il les réseaux sociaux audio obsolètes pour autant? Avez-vous remarqué comment les jeunes de la génération Z communiquent? Le mémo vocal est un mode de communication privilégié pour les jeunes. 

Quand je faisais ma maîtrise, on s’offusquait du langage texto. Maintenant, l’audio reprend ses droits mais sous une autre forme. Une partie des communications sociales passe par la voix. Et puis il n’y a pas que les jeunes, la Silicon Valley se passionne pour AirChat, un genre de Twitter vocal. Soyons attentifs à ce genre de phénomène qui ne se limite pas à un nom ou une application en particulier mais qui nous porte à réfléchir sur nos comportements en société. Parce que oui, nous avons tendance à… sous-estimer l’effet à long terme. 

Comment ça s’applique l’IA et à cette période effrénée qu’on vit en ce moment?

C’est un schéma qui s’applique aussi à l’IA. Une grande promesse au départ, une déception, puis une confiance croissante dans des résultats qui dépassent les attentes initiales. 

L’IA a été surestimée à plusieurs reprises et ses perspectives à long terme ont longtemps été  sous-estimées. Quand l’enthousiasme initial s’amoindrit, on appelle ça des hivers. Et il y a eu plusieurs hivers de l’IA où l’intérêt et le financement n’étaient plus au rendez-vous. Le premier a eu lieu de 1974-1980 et le second de 1987 à 1994. 

Le cycle se ressemble à chaque fois. Le sujet suscite les passions. On se dit que ça y est, notre quotidien ne sera plus jamais le même. Et puis, les déceptions surviennent, la recherche stagne, et on n’assiste finalement pas à la révolution attendue. 

D’ailleurs, plusieurs pensent qu’on ne serait pas à l’abri d’un 3e hiver de l’IA. C’est que la surenchère médiatique qui s’y rattache mène à des attentes démesurées. C’est comme une seconde course à l’espace, sauf que là c’est la course à l’IA. Mais en ressent-on réellement les effets tangibles? 

Est-ce qu’on a surestimé le bond technologique à court terme? Sam Altman d’OpenAI, le visage du boom de l’IA, a déclaré plus tôt cette année que les modèles d’IA capables d’accomplir la plupart des tâches génératrices de revenus mieux que les humains arriveront dans un avenir « raisonnablement proche ». Sauf qu’il a aussi dit que les gens seront probablement déçus de son potentiel transformateur. En somme, les attentes sont si hautes que personne ne pourra les combler. 

Alors ce n’est pas du court terme qu’il faut tant se préoccuper, c’est du long terme qu’on sous-estime souvent. Si un 3e hiver de l’IA survient et qu’on se désintéresse d’outils qui ne remplissent pas leurs promesses, les avancées vont se poursuivre plus lentement, différemment et il est possible que le réveil du printemps soit encore plus perturbateur que prévu. 

Comment peut-on appliquer l’idée maîtresse de la loi d’Amara?

Soyons patients : ne nous laissons pas emporter par l’engouement du moment. Concentrons-nous plutôt sur le potentiel à long terme d’une technologie plutôt que de ses applications immédiates.

Mettons régulièrement à jour nos connaissances et notre compréhension des avancées technologiques pour prendre de meilleures décisions. Les progrès annoncés ne sont pas toujours de grands bonds en avant. 

En conclusion, la loi d’Amara nous rappelle l’importance d’adopter une perspective à long terme lorsqu’on évalue les nouvelles technologies. En restant informés, patients et critiques, on peut mieux comprendre la suite des choses.


L’infolettre de la semaine

Télescope 26

Écrit par La Société des demains le 26 juin 2024

Comment Vannevar Bush a façonné le 20e siècle

Au cours du processus d’invention de nouveaux futurs, il est important de connaître, comprendre et savoir critiquer les anciennes visions. Bien que cet article n’apporte pas de critique, il s’avère très utile pour comprendre tout un pan de l’histoire de la science et de l’informatique et l’influence à long terme de certaines idées. Entre autres accomplissements, Vannevar Bush a été une figure clé du projet Manhattan, a publié un article qui a en quelque sorte anticipé la création de l’hypertexte, et a influencé, grâce à son projet du « memex », le développement de l’ordinateur personnel et du web. En créant les premiers contrats de recherche, il a transformé les relations entre le gouvernement, le monde universitaire et l’industrie.

L’IA peut-elle repenser l’art ? Le devrait-elle ?

Certains artistes explorent l’intersection de l’art et de l’IA et se réjouissent de cette collaboration, tandis que d’autres s’inquiètent d’être remplacés par des machines. Refik Anadol et Pierre Huyghe font partie de ceux qui créent des œuvres d’art générées par l’IA qui suscitent la réflexion et qui brouillent les frontières entre la nature et la technologie. Malgré les craintes, Anadol pense que cette technologie offre de nouvelles possibilités d’imagination, de création et que le monde de l’art est témoin d’une renaissance où les humains et les machines collaborent pour repousser les limites et créer des formes d’art vivantes en constante évolution.

Le pronatalisme domine la conversation sur l’avenir de l’humanité

Beaucoup de matière à réflexion dans cet article ou l’auteure Nandita Bajaj traite de la pression exercée historiquement par le pronatalisme patriarcal visant à augmenter les taux de natalité et des effets négatifs de la surpopulation sur l’environnement et la société. Elle souligne l’importance de faire respecter les droits de l’homme, de promouvoir l’égalité des sexes et de remettre en question les idéologies pronatalistes pour ralentir la croissance démographique. Face à une population vieillissante, elle suggère que de réaffecter judicieusement les ressources et considérer les personnes âgées comme des contributeurs significatifs à la société serait une solution plus judicieuse que de demander aux femmes de faire plus d’enfants. Bajaj appelle à des politiques progressistes donnant priorité au bien-être social plutôt qu’à une croissance sans fin, soulignant la nécessité de s’attaquer au dépassement écologique et d’œuvrer pour un avenir moins peuplé et moins consommateur.


Quelques bonnes nouvelles sur le front du climat. « Le déclin des émissions en Chine et la croissance vigoureuse des énergies renouvelables, entre autres, sont des phénomènes qui permettent de penser que l’atteinte d’un pic est peut-être moins loin qu’on pense. » 

Qui, de la science ou de la littérature, est plus à même de décrire le futur ? La science offre des aperçus probables du futur à travers des hypothèses et des modèles, mais la littérature, notamment la science-fiction, explore de nouveaux horizons imaginaires. Par exemple, les visions spatiales de l’afrofuturisme et de la SF autochtone remettent en question les normes occidentales, offrant des récits alternatifs sur l’exploration de l’espace. 

On déménage léger en carbone! Si votre futur proche inclut un déménagement, n’oubliez quand même pas vos convictions climatiques.  « Selon la Ville de Montréal, 115 000 déménagements ont lieu chaque année entre juin et juillet et 50 000 tonnes d’objets divers sont jetées durant la même période. C’est sans compter les innombrables camions de déménagement qui circulent dans les rues en émettant des gaz à effet de serre. Comment, en 14 étapes, changer de maison sans bouleverser davantage les saisons? »


L’éditorial de la semaine

Le documentaire « Nous, jeunesse(s) d’Iran », diffusé sur France 5, a fait le choix de générer des visages via intelligence artificielle pour anonymiser ses témoins (au centre). Créer une simple mosaïque présente dorénavant trop de risques. Quant au carré noir, difficile de l'utiliser durant tout un film. © Crédits photo : montage La Revue des médias / photo Chrysalide Production/Elephant Doc

Télescope 25

Écrit par La Société des demains le 12 juin 2024

Pourquoi simuler les futurs d’une organisation

L’objectif du design fiction est d’inspirer et de faire adhérer à l’idée du changement, en créant des représentations concrètes et évocatrices de futurs possibles pour explorer les conséquences des changements environnementaux, sociétaux ou technologiques. Fabien Girardin nous propose ici un excellent survol de la pratique, en présentant deux projets réalisés par son studio et deux projets externes. Dans tous ces cas, les artéfacts ainsi créés ont permis d’avancer la réflexion en cours de production, mais surtout par la suite de dynamiser les conversations autour d’un futur possible.

Urgence à France Télévisions : inventer le floutage de demain

En raison de l’arrivée de nouveaux outils techniques, dont l’IA, France Télévisions a été confrontée à la nécessité de repenser les techniques d’anonymisation des témoins, notamment en ce qui concerne la voix et les visages. Des mesures strictes ont été mises en place, telles que l’interdiction de simplement modifier la hauteur de la voix et la restriction de l’utilisation du floutage pour les visages. Une « charte de l’anonymat » a été élaborée en interne pour garantir une protection maximale des sources anonymisées. Certains sujets ont depuis été dépubliés pour éviter tout risque de désanonymisation. Finalement, des techniques d’intelligence artificielle sont explorées pour protéger les témoins tout en préservant l’authenticité des documentaires.

Intelligence artificielle? Non, intelligence collective.

Superbe entretien entre le journaliste Ezra Klein et la musicienne Holly Herndon. Retenons surtout le passage où celle-ci parle « d’intelligence collective ». Elle voit les données d’entraînement, qui proviennent de nous tous et sont utilisées par les IA, comme un patrimoine commun. En l’écoutant nous vient le sentiment qu’il serait essentiel de recadrer les choses, de passer d’un système qualifié « d’artificiel » à un système « collectif », pour en faire quelque chose qui serait plus proche d’un bien commun. Des données et des résultats collectifs rendus possibles par les produits des secteurs privé et public, un peu comme des projets hydroélectriques privés et publics produisant de l’électricité à partir d’un bien commun, la rivière. Ou les bergers d’autrefois qui utilisaient des terres communes pour élever leurs propres moutons.


Ikea s’apprête à lancer The Co-Worker Game sur Roblox, offrant aux joueurs la possibilité de travailler dans un magasin Ikea virtuel. Les candidats devront répondre à des questions amusantes telles que « Si vous étiez un meuble Ikea pixelisé, que seriez-vous? » et « Que feriez-vous si nous n’avions plus de hot-dogs pixelisés dans notre bistro ? ». Le jeu vise à plonger les joueurs dans le monde du travail d’Ikea et à les rémunérer en argent réel, soit environ $16 US de l’heure. Cette opportunité unique fait appel à l’amour de la marque et à l’importance croissante des expériences numériques pour les joueurs de la génération Z.

◗ Gannett, une entreprise de médias qui possède des centaines de journaux aux États-Unis, lance un nouveau programme qui ajoutera en tête des articles des listes à points générées à l’aide de l’intelligence artificielle. L’ajout de ces résumés survient alors que les membres d’un syndicat local s’inquiètent déjà des clauses contractuelles proposées en matière d’utilisation de l’IA.

◗ L’internet chinois se transforme rapidement. On y a constaté une diminution significative du nombre de sites web en langue chinoise au cours de la dernière décennie, passant de 4,3 % à 1,3 % du total mondial. Ce déclin est attribué à des problèmes techniques d’archivage des contenus mais surtout à des pressions politiques conduisant à une censure accrue. En conséquence, plusieurs s’inquiètent de la perte de la mémoire collective en ligne, le contenu historique et les informations disparaissant d’internet à un rythme alarmant.

L’intérieur de la pièce silencieuse de la Bibliothèque du futur, à Oslo. Photo : VEGARD KLEVEN/Katie Paterson/Future Library

Télescope 24

Écrit par La Société des demains le 29 mai 2024

Les manuscrits secrets de la Bibliothèque du futur

Travailler à un projet d’avenir sans se préoccuper de ne plus y être pour en bénéficier. Ce sera un des grands défis de notre ère; faire les changements requis pour éviter le pire aux générations futures. À la grande bibliothèque d’Oslo, c’est la version littéraire qui se joue, écrire et protéger des livres « secrets » pour ne les lire que dans 100 ans. Chaque année, un nouveau manuscrit secret est ajouté, scellé dans un tiroir de verre et d’acier. Margaret Atwood a contribué à cette bibliothèque, dont les textes resteront cachés jusqu’en 2114, inspirant une réflexion sur l’avenir de l’humanité et la pérennité des livres papier. 

OpenAI vient de dévoiler son jeu

Brouhaha ces derniers jours autour d’OpenAI et de la voix de Scarlett Johansson. La compagnie américaine se serait inspiré, voire aurait copié, la voix de l’actrice qui avait pourtant refusé de s’y associer. Charlie Warzel dans The Atlantic souligne la quête inlassable de progrès par les développeurs de l’IA, menée trop souvent sans tenir compte des préoccupations éthiques ou du consentement. Selon l’auteur, ils sont animés par un sentiment de légitimité leur donnant le beau rôle de façonner l’avenir de la société.

Remarquons aussi que la voix de Johansson avait été retenue en raison de son association au film Her (2013), la majorité des bonzes de Silicon Valley aimant bien s’inspirer de la science-fiction. Malheureusement, ils ignorent souvent la mise en garde du récit, pour plutôt offrir une « dystopie utile » aux consommateurs. C’est le propos de Brian Merchant, aussi en lien avec le cas OpenAI, quand il affirme que pour bien des PDG de l’industrie technologique, la dystopie est la clé du succès.

Des robots cajoleurs pour la prise en charge de la démence

Avoir un œil critique sur l’adoption technologique est essentiel, mais parfois certains défis devront être balancés avec des besoins criants, ou l’idéal risque de s’avérer impossible. Nous en avons ici un bon exemple avec un regard sur le potentiel d’utilisation de robots pour améliorer les soins aux personnes atteintes de démence. En raison d’une pénurie de personnel soignant, aux États-Unis seulement, plus d’un million de travailleurs supplémentaires seront nécessaires pour aider les personnes atteintes de démence d’ici 2031. L’auteure souligne les difficultés liées à l’utilisation de robots pour l’interaction sociale, notamment les préoccupations relatives à la protection de la vie privée, les réticences du personnel soignant et le besoin de personnalisation.


Viande artificielle : c’est parti ? La viande artificielle est produite à partir de cellules animales cultivées en laboratoire, offrant ainsi une option potentielle pour la consommation de viande. Les producteurs promettent des avantages tels qu’une moindre consommation d’eau et d’antibiotiques, ainsi qu’un goût et des qualités nutritives similaires à la viande traditionnelle. Cependant, les défis majeurs résident dans la transition vers une production à grande échelle ainsi que dans l’acceptabilité sociale.

Les adolescents qui se lient d’amitié avec les chatbots d’IA. De nombreux adolescents trouvent ces robots de conversation utiles pour évacuer leurs émotions et discuter de problèmes psychologiques en dehors de leurs cercles sociaux. Si certains utilisateurs apprécient la compagnie et le soutien des chatbots, des inquiétudes se posent quant au risque d’accoutumance et à l’impact sur les interactions sociales dans la vie réelle.

La microforêt, outil écologique de réflexion et d’action. La microforêt est un outil écologique apprécié pour sa croissance rapide et ses nombreux bienfaits environnementaux, tels que la rétention d’eau et la biodiversité. Conçus grâce à la méthode Miyawaki, ces espaces verts sont entretenus pendant trois ans avant de devenir autonomes, laissant ensuite la nature suivre son cours.

Des ouvriers de China Railway Group travaillent dans un tunnel sur le site de construction du chemin de fer municipal de Hangde dans le sous-district de Kangqian, comté de Deqing, ville de Huzhou, province du Zhejiang (Chine de l’Est), le 2 février 2023. © CFOTO/Sipa USA

Télescope 23

Écrit par La Société des demains le 15 mai 2024

S’orienter dans la polycrise

Cet article est un extrait du livre de Michael J. Albert intitulé Navigating the Polycrisis. En bref, l’auteur affirme que face aux nombreuses crises interconnectées, le travail de prospective peut aider à nous orienter vers des avenirs différents et plus propices à la survie. « Le business-as-usual prendra fin, que ce soit par choix ou suite à une catastrophe. Nous avons donc besoin d’études orientées vers l’avenir et qui pourraient éclairer les routes possibles, leurs ramifications, les dangers qui nous guettent et les opportunités qui peuvent émerger pour une transformation progressive ».

Il parle également d’utopies concrètes, où « la spéculation doit négocier la tension entre l’imagination radicale et l’analyse sociale, politique et écologique rigoureuse du possible. En d’autres termes, elle émerge de la rencontre toujours délicate entre l’utopie et le réalisme ».

L’avenir du travail entre dans l’ère de la synthèse

Au Future Laboratory, très bon résumé de leur nouveau rapport sur l’avenir du travail ainsi que son évolution en lien avec l‘IA. Celle-ci entraînera des défis et des opportunités en termes de productivité, de redéploiement des emplois et de nouvelles exigences en matière de perfectionnement. Dans le même temps, il est essentiel de maintenir un équilibre entre les avancées technologiques et les qualités humaines telles que la profondeur de réflexion, la création de sens et la connexion. L’IA à le potentiel de créer de nouvelles opportunités d’emploi, en particulier pour les entrepreneurs, ce qui démontre la nécessité de s’adapter et d’embrasser l’évolution du paysage professionnel. Enfin, l’évolution vers des applications spécialisées de l’IA appelle à une réflexion approfondie sur la manière dont cette technologie est intégrée dans divers aspects de la société et des environnements de travail.

Le projet contre-hégémonique chinois

Très bon papier sur Le Grand Continent où on intègre le concept d’hégémonie d’Antonio Gramsci avec celui de soft power de Joseph Nye pour analyser la rivalité entre la Chine et les États-Unis dans le contexte de l’hégémonie mondiale. L’auteur se concentre sur le projet chinois de la nouvelle route de la soie et son impact sur les relations internationales et met en lumière l’influence croissante de la Chine à travers le développement des infrastructures et les stratégies de soft power. Selon lui, cette dernière souhaite ni plus ni moins que remplacer la mondialisation sous supervision américaine par une réorientation sino-centrée du marché mondial. Superviser le marché mondial permet de dépasser des instabilités politico-économiques domestiques tout en bénéficiant simultanément de retombées économiques colossales et d’un pouvoir politique extraterritorial immense.


Les raisons pour lesquelles nous devons passer de la prédiction à la prévision. Roger Spitz explique comment la prospective, à l’aide de diverses méthodologies telles que l’élaboration de scénarios, nous aide à planifier l’avenir en explorant systématiquement plusieurs futurs potentiels afin d’éclairer la prise de décision face à des changements imprévisibles.

À quoi ressembleront les Jeux olympiques du futur ? Chez Usbek & Rica, deux beaux exemples de scénarios pour imaginer des avenirs possibles. Centrés sur les olympiques, ils incluent aussi de petits détails pour bien peindre le portrait de ces futurs. De la même publication, le dérèglement climatique va-t-il changer les règles du sport ?  

Des parents décédés « donnent leur soutien » à des hommes politiques grâce à l’IA. Alors que les élections battent leur plein en Inde, certains des principaux hommes politiques du pays et leurs gourous de la marque ont misé sur l’intelligence artificielle pour ressusciter le passé et influencer l’avenir. Des défenseurs des droits numériques s’interrogent sur l’éthique d’un tel usage, en cours d’élection, de la voix ou de la représentation d’un candidat.


Éditorial de la semaine

Micropaiements: Transactions et interactions

Écrit par Éveline Olivier le 15 mai 2024

« Les services d’écoute en ligne font le plein d’utilisateurs, mais de plus en plus doutent de la viabilité de leur modèle d’affaires », rapportait Étienne Paré, journaliste au Devoir, en février 2023. Cette remise en question des stratégies de rémunération se répète chez divers médias numériques, qui  traversent une période de changement de leur modèle de monétisation, caractérisée par la diversification. Les grandes plateformes de diffusion audiovisuelle, telles Netflix et Amazon Prime, proposent des options d’abonnements payantes tout en bénéficiant de revenus publicitaires. Les compagnies de jeux vidéo vendent leurs produits ainsi que des abonnements permettant aux utilisateur.rice.s de détenir des avantages. Les boîtes de production de balado allient revenus publicitaires, dons du public et abonnements. La diversité des approches et la construction d’un portefeuille garni de méthodes variées semblent donc prédominer dans l’établissement de stratégies de rémunération. 

Parmi les diverses approches employées, certaines sont axées sur la relation entre les personnes créatrices et leur public, par exemple, les micropaiements. Ces derniers sont des transactions de petites sommes entre l’utilisateur et le créateur, qui tendent à représenter des revenus considérables par leur accumulation. Aussi appelés microtransactions, leur utilisation est actuellement plus marquée dans l’industrie du jeu vidéo depuis l’arrivée des jeux connectés à Internet, où des items payants, tels des avantages ou des accessoires, sont souvent rendus accessibles aux joueur.euse.s par une transaction directement via l’interface du jeu

Le développement du Web3 devient un vecteur indéniable dans l’utilisation des micropaiements, sa décentralisation rendant possible le pair-à-pair (P2P) et son interopérabilité permettant l’achat de contenu et sa consommation sur une variété de plateformes. Les transactions sans intermédiaire P2P participent aussi à la création d’un lien plus fort entre les créateur.rice.s et leur clientèle, celle-ci pouvant rétribuer ses artistes favori.te.s de manière directe. L’absence de tierce partie représente aussi une économie, en supprimant les marges de profit des intermédiaires. 

Si cette méthode représente un accès à des revenus supplémentaires pour les créateur.rice.s, sans frais associés à un intermédiaire, la barrière technologique du Web3 ralentit son adoption. Pour accéder à l’achat d’un produit d’un créateur, l’utilisateur doit bien souvent posséder un portefeuille de cryptomonnaies. À la fin de l’année 2023, environ 580 millions de personnes détenaient des cryptomonnaies, mais la complexité de ces technologies ainsi que la grande volatilité de ces monnaies font qu’une percée grand public demeure encore très hypothétique. 

Les micropaiements s’inscrivent tout de même dans une tendance, la croissance de leur utilisation étant estimée à environ 10% pour la période de 2022 à 2030, soutenue par la popularité du jeu vidéo, et plus particulièrement du modèle free-to-play (F2P), permettant d’accéder gratuitement à un jeu. Le F2P axe sa stratégie de monétisation sur la vente d’items et d’avantages par microtransactions. Ce modèle génère aujourd’hui près de 80% des revenus des jeux vidéo, son succès étant attribuable à la passion des joueur.euse.s envers le produit. 

La question d’adhésion au modèle d’affaires ne semble donc pas uniquement liée à l’adoption de nouvelles technologies, mais aussi à la propension des utilisateur.rice.s à payer par affection pour le produit. L’engouement sous-jacent de la fan culture explique notamment le succès de l’approche de microtransactions au Japon, où le modèle se répand plus loin que le jeu vidéo. Les utilisateur.rice.s vont par exemple, jusqu’à débourser pour accéder à du contenu exclusif de leur groupe de musique préféré. Ce comportement tend toutefois à se reproduire ailleurs dans le monde et sous d’autres formes, notamment dans la baladodiffusion et les plateformes d’écoute de musique. Dans ces secteurs, ces transactions permettent une interaction entre les utilisateur.rice.s et les créateur.rice.s, pouvant dépasser la passivité pour développer un engagement. Cet attachement peut être garant d’éventuelles transactions, solidifiant ce modèle d’affaires. Les microtransactions viennent ainsi combler ce besoin de connexion entre un.e créateur.rice et son public, l’intimité de l’échange étant actuellement affectée par le rôle tiers des plateformes de streaming dans la consommation. 

La possibilité d’acquérir des items en cours de jeu pour en améliorer l’expérience semble centrale au succès des microtransactions dans l’industrie du jeu vidéo. Ceci n’indique pas nécessairement que seul le jeu vidéo peut bénéficier de ces revenus par sa forme, mais que les autres industries pourraient devoir s’adapter, et que notre perception de leurs produits devra évoluer pour permettre l’établissement plus solide de ce modèle d’affaires.

Par exemple, dans l’industrie musicale, le développement d’interfaces intuitives pourrait permettre une consommation de manière similaire au streaming, mais où chaque écoute correspondrait à une transaction équivalente à une fraction de la valeur de l’œuvre et ne nécessitant pas la possession d’un portefeuille de cryptomonnaies. Certaines entreprises développent des approches de microtransactions, telle Share, créée par Formless, qui propose un modèle de distribution musicale ancré dans une blockchain. 

Les microtransactions représentent un potentiel dans les industries créatives numériques, où les artistes cherchent ultimement à partager leur produit auprès d’un public qui les rétribue. Cette stratégie de monétisation pourrait éventuellement être utilisée comme moyen généralisé de paiement avec la démocratisation du Web3, assurant une efficacité par l’élimination d’intermédiaire et offrant un éventail de possibilités de revente avec la possession d’items numériques. 

Il est intéressant de souligner comment le développement de ce modèle de monétisation mise sur la relation entre les parties prenantes, favorisant la dimension « humaine » de l’échange de pair-à-pair. Pour ceux craignant la déshumanisation des interactions par les développements technologiques, cela porte à réfléchir à ce que le Web3 nous permettra d’accomplir, non seulement en termes d’efficacité, mais également d’un point de vue relationnel.


L’infolettre de la semaine

Télescope 22

Écrit par La Société des demains le 1 mai 2024

Rentes et barons voleurs

Avez-vous entendu parler de la merdification? Traduction colorée du non moins coloré enshittification inventé par Cory Doctorow, le terme explique la dégradation de qualité qui affecte progressivement certaines plateformes numériques. Que ce soit Amazon, Facebook, Google Search, ou Twitter, vient un moment où le produit passe d’une priorité à servir les utilisateurs à une visant à servir les commanditaires et éventuellement à viser uniquement la maximisation du profit.

Si on veut faire dans le langage économique un plus sérieux et intégrer un contexte historique, Tim O’Reilly présente ici un article sur l’innovation, la rente économique, Amazon et Google. En gros, constatant la fin des profits générés par la croissance de nouveaux marchés (la « marée montante ») ces organisations se tournent alors vers l’extraction de tous les dollars possibles (les « rentes de baron voleur »). Elles détruisent ainsi les résultats de recherche par des placements payants qui prennent une place toujours grandissante.

Les huit employés de Google qui ont inventé l’IA moderne

Steven Levy, du magazine WIRED, se lance dans un petit voyage dans le temps. Il retrace le parcours des huit personnes qui ont écrit l’article sur l’IA ayant fait connaître au monde entier les « transformateurs » (le T de GPT). Levy documente les divers moments d’heureux hasards qui les ont réunies chez Google. Après ce retour dans le passé, jetez également un coup d’oeil au futur proche avec l’édition de vidéo avec cette démo de l’IA générative intégrée dans Premiere Pro, Adobe Firefly ou encore ce papier de recherche de Microsoft ou un simple portrait et un court extrait audio sont transformés en une vidéo bluffante.

Le sport féminin en pleine ascension

On pourrait même dire en ascension fulgurante (aussi). Les équipes de la nouvelle Ligue Professionnelle de Hockey Féminen (LPHF) s’échangent les records d’assistance depuis le début de la saison en remplissant les amphithéâtres d’équipes masculines (21 105 personnes au centre Bell de Montréal) et en innovant avec leurs règlements. Au football/soccer les records tombent aussi, avec 60 160 personnes pour Arsenal contre Chelsea. Les bars sportifs présentant exclusivement du sport féminin sur leurs écrans se multiplient. En mars les matchs les plus regardés (aussi) et les billets les plus dispendieux au basketball collégial américain étaient pour le tournoi féminin, devant le tournoi masculin. Comment se fait-il que tous ces sports progressent en même temps? Changement de moeurs? De génération? Qu’est-ce que cela représente pour le futur du sport professionnel?


Presque 10 % d’absents en classe. « Au début d’avril, près de 10 % des jeunes de la province n’étaient pas sur les bancs d’école, un pourcentage presque aussi élevé qu’en pleine pandémie. Désengagement vis-à-vis de l’école, voyages, anxiété : les hypothèses varient sur les causes de ces absences. » Nous notons cet article pour deux raisons: parce que c’est un phénomène important pour la société, mais aussi parce que quand on parle de futurs multiples, de complexité, et de considérer une variété de scénarios, en voici un bel exemple. Peu de gens et d’organisations étaient préparés pour une telle disruption, et encore moins pour ce genre d’impact plus de quatre ans après le premier confinement.

Les arguments climatiques en faveur d’une carrière dans l’industrie minière. Bel exemple de la complexité des enjeux, ainsi que des défis parfois étonnants. Pour une transition vers une énergie propre, les besoins en minerai vont grandissant. Cependant, l’industrie minière—en particulier dans des pays comme les États-Unis—est confrontée à une pénurie de travailleurs qualifiés. Pour plusieurs, c’est un manque d’intérêt pour les domaines en conflit avec leurs valeurs. 

Pour l’UE, un représentant institutionnel dévolu à l’avenir? « Il est temps pour l’UE de se doter d’un représentant institutionnel dévolu à l’avenir, d’un commissaire européen représentant les intérêts des générations futures. Dans cette ère de polycrise, l’intégration d’une perspective à long terme dans l’architecture institutionnelle améliorerait la prise de décision, tout en évitant les répercussions néfastes sur la durée. » À quand une réflexion de cet ordre de ce côté de l’Atlantique?


L’édito de cette semaine

Photo par Reza Bina sur Unsplash.

La société du loisir 2.0

Écrit par Marianne Richard le 1 mai 2024

Dans une entrevue de 1966, le sociologue français Joffre Dumazedier, à qui l’on doit en partie le concept de « société du loisir », revendique le droit à la paresse, le droit de s’amuser et le droit d’être heureux. Si ces « droits » ne surprennent plus, l’idée d’encourager le fait d’avoir des loisirs chez toutes les franges de la population est encore très récent et fortement tributaire de la réduction de la charge de travail amenée par les développements technologiques des deux derniers siècles.

Les effets de la deuxième révolution industrielle, débutée au tournant du XIXe siècle, se répandent à partir des années 1900 dans l’ensemble des sphères industrielles et permettent, grâce à la mise à profit de nouvelles sources d’énergie (électricité, pétrole, gaz) de réduire considérablement le nombre d’heures de travail nécessaire pour accomplir la même charge. Pour la première fois, on imagine qu’une société moins centrée sur le travail, où tous et toutes peuvent profiter de temps de repos et de loisir à profusion, est à portée de main. Et pourtant, près de 60 ans après les promesses de cette société du loisir, rien ne saurait être plus éloigné de cette utopie. Certes, les heures de travail ont diminué ; la moyenne d’heures de travail par année au Québec est passée de 2 059 au tournant des années 60 à 1 686 en 2022, une diminution de près de 20%. Mais qu’en est-il de la charge mentale? 

Entre l’automatisation, la numérisation grandissante et la troisième révolution industrielle, introduisant notamment les télécommunications et internet, les emplois se sont encore et toujours complexifiés. En 2023, la firme Robert Half avançait que près de 40 % des personnes sur le marché du travail au Canada étaient au bord de l’épuisement professionnel, les jeunes de 18 à 34 ans étant les plus à risque. On accuse notamment la trop grande charge de travail (surtout la charge mentale dépassant souvent le descriptif de tâches), le manque de communication et de soutien de la part de la direction ou encore les outils et les ressources insuffisantes pour bien performer.

Cette véritable épidémie du burn-out est-elle vraiment une fatalité, la suite logique de l’évolution capitaliste ? Pas selon certains techno-optimistes, qui croient que l’IA, l’internet des objets et la robotique amèneront enfin la panacée à ces semaines de travail trop chargées pour une réelle renaissance de la société du loisir !

Toutes ces technologies sont la clé d’une automatisation massive des activités de travail, à une échelle inégalée dans l’histoire humaine. Les estimations varient grandement entre les secteurs et les situations géographiques, mais les plus audacieuses estiment que 90% des emplois pourraient être partiellement et dans une plus petite proportion complètement automatisés d’ici 2030. Pourquoi une aussi grande proportion d’emplois ? C’est parce que pour la première fois, ce ne sont pas que les emplois demandant une faible charge cognitive qui sont menacés ; les emplois nécessitant des facultés cognitives complexes et s’étant toujours crus à l’abri de l’automatisation par le passé sont maintenant aisément reproductibles par des IA génératives avancées. En date d’aujourd’hui, les professions de juge, ou encore de médecin pourraient être en grande partie automatisées – c’est donc davantage l’acceptabilité sociale envers le fait de remettre des domaines comme la santé ou la justice entre les mains d’algorithmes aveugles qui freine ces avancées. 

Alors qu’est-ce qui se passe, une fois que les robots ont vraiment « volé nos jobs » ? Certains avancent qu’un interventionnisme étatique massif sera nécessaire pour structurer cette nouvelle société post-travail, et des principes comme le Revenu de base (Universal Basic Income ou UBI en anglais) sont évoqués comme des pistes de solution pour permettre à toutes et tous de profiter de l’accumulation de capital supplémentaire générée par cette nouvelle main-d’oeuvre infatigable. 

De l’autre côté, ne nous méprenons pas : ces développements technologiques semblent déjà l’apanage d’intérêts privés, n’ayant guère d’incitatif à partager les fruits de l’automatisation. Déjà, en 1867, Karl Marx écrivait : « Ce n’est plus le travailleur qui emploie les moyens de production, ce sont les moyens de production qui emploient le travailleur. » Et si l’automatisation, loin de nous assurer cette société du loisir 2.0, nous asservissait plutôt à des tâches abrutissantes, comme de la surveillance et du maintien, continuant à nous aliéner toujours davantage? Portrait un peu moins reluisant… 

Toutes ces nouvelles technologies en sont encore à leurs balbutiements et possèdent réellement le pouvoir de transformer la façon dont nous organisons nos vies. Mais pour éviter des dérives dystopiques, il est primordial d’encadrer le développement des prochaines années. Peut-être serait-il pertinent de ramener au premier plan le premier principe de La déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence artificielle :  « Le développement et l’utilisation des systèmes d’intelligence artificielle (SIA) doivent permettre d’accroître le bien-être de tous les êtres sensibles. »


L’infolettre de la semaine

Télescope 21

Écrit par La Société des demains le 17 avril 2024

L’IA a un problème Uber

Tim O’Reilly parle de la Silicon Valley, où « les investisseurs en capital-risque et de nombreux entrepreneurs épousent les valeurs libertaires. [Pourtant,] dans la pratique, ils souscrivent à la planification centrale : Plutôt que de se faire concurrence pour gagner sur le marché, les entrepreneurs rivalisent pour obtenir des fonds de l’équivalent du comité central de la Silicon Valley ». Il en rajoute peut-être un peu, mais son argument selon lequel les petits investissements d’il y a 20 ans étaient plus productifs que les « gagnants couronnés » d’aujourd’hui qui utilisent le blitzscalling est tout à fait pertinent.

Et si on avait un tribunal comme en Suède?

En Suède, Northvolt a dû obtenir son autorisation environnementale devant le tribunal foncier et environnemental d’Umeå, et non au cours d’une procédure d’audience publique plus longue. On en a possiblement tous un peu eu assez de ce dossier, mais lisez cet article plutôt avec un œil sur l’accélération technologique, sur l’urgence d’agir pour le climat, et considérez le modèle Suédois comme le type d’option qu’il faut être prêt à considérer sans se braquer.

Une construction de plus de 8 mètres de haut imprimée en 3D

La technologie ça bouge souvent vite, mais la plupart du temps le spin et les tendances bougent encore plus rapidement et parfois il faut savoir être patient. L’impression 3D en est un exemple. Le domaine peut sembler vieux, un peu dépassé, mais les progrès se poursuivent et il y a de réels usages courants, ainsi que des potentiels intrigants. Phoenix est un nouveau système de construction robotisée à plusieurs étages qui permet d’imprimer l’intégralité d’un bâtiment, y compris les fondations et les structures de toit. (Lien Youtube, ça vaut le trois minutes!)


◗ Retour vers le futur avec The Futurists (1967), un excellent 25 minutes de prédictions, entre autres Asimov ici: « Nous sommes confrontés à un certain nombre de dangers communs, nous ne pouvons vaincre ces dangers que par une action commune et nous devons apprendre à mener cette action commune. Nous avons la capacité physique de le faire, nous avons besoin du cœur pour le faire … D’ici un siècle, il sera dompté au point d’affronter les problèmes du monde de façon suffisamment collective. Ou alors, nous nous serons assez détruits pour que toute cette discussion n’ait plus aucun sens. »

Ne vous laissez pas berner, l’A n’est souvent rien d’autre que de l’externalisation. Pour les entreprises et les investisseurs, l’IA promet que les compagnies peuvent augmenter leurs profits et leur productivité en réduisant leur dépendance à l’égard d’une main-d’œuvre humaine qualifiée. Mais comme le montre cet article, l’IA n’est trop souvent que le mot à la mode pour désigner « l’externalisation », et elle s’accompagne des mêmes problèmes que ceux qui affectent les entreprises et la main-d’œuvre externalisée depuis des dizaines d’années.

Les pousse-pousse électriques indiens laissent les véhicules électriques dans la poussière. Alors que l’Inde attend sa première Tesla, ces modestes rickshaws sont à l’origine d’une révolution du véhicule électrique dans le pays. Au cours de la dernière décennie, environ 1,73 million de pousse-pousse électriques à trois roues y ont été vendus.


L’éditorial cette semaine