Comment la loi d’Amara permet-elle de mieux comprendre notre époque?

Écrit par Catherine Mathys le 26 juin 2024

Photo par Brian McGowan sur Unsplash

Roy Amara était cofondateur de l’Institute for the Future à Palo Alto, dans la Silicon Valley. Dans le domaine de la prospective, ce sont des pionniers d’une méthodologie qui permet de réfléchir de manière constructive et systématique au futur. 

Roy Amara est surtout connu pour son adage, désormais appelé la loi d’Amara :

Nous avons tendance à surestimer l’effet d’une technologie à court terme et à sous-estimer son effet à long terme.

C’est une phrase qui en dit long et qu’on peut interpréter de différentes manières mais en somme, elle revient à dire que nous nous sommes souvent trompés quand il s’agit d’évaluer l’impact réel d’une technologie dans nos vies. 

En technologie, il existe tout plein de ces « lois » qui nous permettent d’illustrer certains phénomènes. La plus connue et sans doute celle dont vous avez déjà entendu parler est la loi de Moore. 

Cette loi stipule que le nombre de transistors sur une puce double tous les deux ans. Bien qu’elle ne soit pas prouvée scientifiquement, il s’agit d’une observation et d’une extrapolation qui se sont maintenues depuis 1965. On a plusieurs fois annoncé la mort de cette loi mais elle est toujours d’actualité puisqu’on continue toujours de miniaturiser. 

Quels seraient des exemples où la loi d’Amara s’est appliquée?

Il y en a plusieurs. C’est justement ce qui donne sa pertinence à ce principe de surestimation à court terme et sous-estimation à long-terme. 

Commençons par un exemple plus vieux: La course à l’Espace. C’est une course dont l’objectif était de réaliser l’un des plus grands rêves de l’humanité : envoyer des hommes sur la Lune. L’URSS a remporté les premières victoires en mettant Spoutnik 1 en orbite en octobre 1957 et en envoyant le premier homme dans l’Espace en avril 1961. En réponse, en mai 1961, le président Kennedy a lancé à sa nation le défi d’envoyer un homme sur la Lune avant 1970. C’est un défi qui a passionné le monde entier mais qui a aussi séduit l’opinion publique… pour un temps.

Dans cet enthousiasme vif puis faiblissant, on a peu considéré les effets à long-terme. L’angle de la course EU-URSS a pris toute la place et on a vite oublié que l’accélération de l’innovation technologique qui en a découlé aurait un réel impact sur notre quotidien à long-terme. 

Maintenant, il y a toute une économie de l’Espace qui se met en place. Le Forum économique mondial parle d’un marché de 1.8 billions de dollars en 2035 (1000 milliards). Bref, on a pensé que la plus grande innovation était celle des années 60 mais on n’a probablement encore rien vu. 

Un exemple plus récent de l’application de la loi d’Amara? On a moins de distance avec le sujet mais il est tout de même possible d’en tirer des leçons. 
Vous vous souvenez de Clubhouse ? En 2021, tout le monde parlait de l’application audio Clubhouse, un genre de réseau social sans images. On avait l’impression de réinventer les réseaux sociaux, de faire du neuf avec du vieux. On attendait notre invitation avec impatience. On se sentait choisi quand on pouvait enfin accéder aux fameux salons de discussions. Voici ce qui illustre la première partie de l’adage: nous avons tendance à surestimer l’effet d’une technologie à court terme. 

C’était sympathique le temps que ça a duré mais on est passé à autre chose, mais cela rend-il les réseaux sociaux audio obsolètes pour autant? Avez-vous remarqué comment les jeunes de la génération Z communiquent? Le mémo vocal est un mode de communication privilégié pour les jeunes. 

Quand je faisais ma maîtrise, on s’offusquait du langage texto. Maintenant, l’audio reprend ses droits mais sous une autre forme. Une partie des communications sociales passe par la voix. Et puis il n’y a pas que les jeunes, la Silicon Valley se passionne pour AirChat, un genre de Twitter vocal. Soyons attentifs à ce genre de phénomène qui ne se limite pas à un nom ou une application en particulier mais qui nous porte à réfléchir sur nos comportements en société. Parce que oui, nous avons tendance à… sous-estimer l’effet à long terme. 

Comment ça s’applique l’IA et à cette période effrénée qu’on vit en ce moment?

C’est un schéma qui s’applique aussi à l’IA. Une grande promesse au départ, une déception, puis une confiance croissante dans des résultats qui dépassent les attentes initiales. 

L’IA a été surestimée à plusieurs reprises et ses perspectives à long terme ont longtemps été  sous-estimées. Quand l’enthousiasme initial s’amoindrit, on appelle ça des hivers. Et il y a eu plusieurs hivers de l’IA où l’intérêt et le financement n’étaient plus au rendez-vous. Le premier a eu lieu de 1974-1980 et le second de 1987 à 1994. 

Le cycle se ressemble à chaque fois. Le sujet suscite les passions. On se dit que ça y est, notre quotidien ne sera plus jamais le même. Et puis, les déceptions surviennent, la recherche stagne, et on n’assiste finalement pas à la révolution attendue. 

D’ailleurs, plusieurs pensent qu’on ne serait pas à l’abri d’un 3e hiver de l’IA. C’est que la surenchère médiatique qui s’y rattache mène à des attentes démesurées. C’est comme une seconde course à l’espace, sauf que là c’est la course à l’IA. Mais en ressent-on réellement les effets tangibles? 

Est-ce qu’on a surestimé le bond technologique à court terme? Sam Altman d’OpenAI, le visage du boom de l’IA, a déclaré plus tôt cette année que les modèles d’IA capables d’accomplir la plupart des tâches génératrices de revenus mieux que les humains arriveront dans un avenir « raisonnablement proche ». Sauf qu’il a aussi dit que les gens seront probablement déçus de son potentiel transformateur. En somme, les attentes sont si hautes que personne ne pourra les combler. 

Alors ce n’est pas du court terme qu’il faut tant se préoccuper, c’est du long terme qu’on sous-estime souvent. Si un 3e hiver de l’IA survient et qu’on se désintéresse d’outils qui ne remplissent pas leurs promesses, les avancées vont se poursuivre plus lentement, différemment et il est possible que le réveil du printemps soit encore plus perturbateur que prévu. 

Comment peut-on appliquer l’idée maîtresse de la loi d’Amara?

Soyons patients : ne nous laissons pas emporter par l’engouement du moment. Concentrons-nous plutôt sur le potentiel à long terme d’une technologie plutôt que de ses applications immédiates.

Mettons régulièrement à jour nos connaissances et notre compréhension des avancées technologiques pour prendre de meilleures décisions. Les progrès annoncés ne sont pas toujours de grands bonds en avant. 

En conclusion, la loi d’Amara nous rappelle l’importance d’adopter une perspective à long terme lorsqu’on évalue les nouvelles technologies. En restant informés, patients et critiques, on peut mieux comprendre la suite des choses.


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