Comme chaque année depuis 17 ans, la futurologue Amy Webb, pdg du Future Today Institute, est passée à SXSW pour dévoiler son rapport annuel des tendances techno émergentes. Sa conférence est d’ailleurs l’une des plus courues du festival.
Elle a identifié 695 tendances réparties dans 16 sections. Mais elle le dit elle-même, le contexte actuel est très particulier et les tendances seules ne sont plus suffisantes pour comprendre ce qui se passe. Elle parle de notre époque comme d’un supercycle des technologies. C’est d’ailleurs le thème de son rapport 2024.
C’est quoi un supercycle?
Un « supercycle » fait référence à une période prolongée de grande demande, stimulée par des changements structurels substantiels et durables dans l’économie. Ce n’est pas un concept de son cru. En fait, ça fait référence à une transformation économique qu’on a déjà vécu à plusieurs reprises dans notre histoire récente. Mais cette fois-ci, c’est un peu différent.
Ce qu’elle indique, c’est que les avancées concomitantes de trois secteurs en particulier dans les cinq dernières années, l’intelligence artificielle, l’écosystème des objets ainsi que la biotechnologie, les ont transformées en technologies à usage général. Une technologie à usage général peut être appliquée à une multitude d’usages et de domaines différents. Pensez à l’électricité. C’est un exemple de technologie qui a transformé, refaçonné notre économie. L’adoption d’une technologie à usage général est la bougie d’allumage d’un supercycle.
La différence, cette fois-ci, c’est la convergence des trois technologies: IA, biotechnologie et écosystème des objets connectés qui progressent mais qui s’influencent les unes les autres. Cette convergence favorise ce nouveau supercycle technologique. Les supercycles du passé ont été provoqués par l’arrivée d’une seule technologie. Par exemple, l’arrivée du moteur à vapeur a donné son impulsion à la révolution industrielle. C’est habituellement assez facile à circonscrire.
Cette fois, si vous en perdez votre latin, c’est entre autres à cause de la convergence de ces 3 technologies qui ont des ramifications dans beaucoup de sphères de notre société. Le cyclone dans lequel vous avez l’impression de vous retrouver? C’est ça le supercycle des technologies. Et c’est aussi ça qui a le potentiel de transformer profondément l’expérience humaine. Nous sommes à la fois excités et terrorisés, à juste titre.
Alors on fait quoi?
Pour le moment, on ne fait pas grand chose, malheureusement. On essaye encore de comprendre. Les personnes responsables de prendre des décisions, dit-elle, semblent paralysées par une anxiété envahissante. Les changements semblent si importants que les horizons de planification raccourcissent. Toutes les décisions prennent leur source dans la peur, l’incertitude ou le doute parce que le futur nous semble si abstrait et évanescent qu’on s’accroche au peu de certitudes qu’il nous reste encore. Nous sommes, précise Amy Webb, la génération T. Le T signifie transition.
La peur, l’incertitude et le doute sont ce qui caractérise cette génération dont nous faisons tous partie, peu importe l’année de naissance. Il suffit d’être vivant en ce moment pour en faire partie. Nous sommes tous plongés dans cette ère de grande transition après laquelle le monde dans lequel nous vivrons sera fort différent de celui que nous avons connu à la naissance.
Tendances-clés
Amy Webb a parlé de plusieurs tendances mais j’en résume deux qui me semblent intéressantes.
Une tendance en IA est celle du passage du concept au concret. En ce moment, on a simplement besoin d’écrire une commande textuelle dans une plateforme comme ChatGPT et on obtient ce qu’on veut. Plus on est précis, meilleur est le résultat. Amy Webb nous prévient que ça va changer. On ne va plus écrire des directives, on va écrire des concepts pour générer des nouvelles idées assistées par l’IA. Ce n’est plus nécessaire d’être précis au départ, l’idée va se préciser en cours de route.
Autre tendance dont elle a parlé (il y en a plus de 100 juste en IA dans le rapport) c’est le l’IA non-sécurisée. Aujourd’hui, l’IA s’est développée en grande partie dans un écosystème d’entreprises privées qui protégeaient leurs systèmes tout en publiant le fruit de leurs recherches. Amy Webb dit que ce n’est plus le cas. Il se publie moins de recherches sur l’IA, dit-elle, parce qu’il y a trop d’enjeux commerciaux. Il y a donc un mouvement dans la direction opposée, c’est-à-dire des IA en code source ouvert (open source). C’est bien sauf que ces systèmes sont non-sécurisés. Vous aurez plus de contrôle sur le système sauf qu’il sera aussi beaucoup plus vulnérable. Il faut donc prévoir un grand fossé entre l’IA privée et l’IA en code source ouvert.
Ensuite, l’écosystème des objets connectés. Quelles sont les tendances dans ce domaine?
Amy Webb nous rappelle que l’IA consomme une grande quantité de données et que d’ici quelques années, on va manquer de sources de données sur le web. Les données vont devoir venir d’ailleurs et elles risquent de venir des nouveaux objets connectés qui vont se mettre à peupler nos existences.
On aura besoin de plusieurs types de données: sensorielles, visuelles, etc. Les grands modèles de langage ne seront plus suffisants. Préparez-vous pour un autre type de modèle: les grands modèles d’action. Les grands modèles de langage prédisent le mot suivant, les grands modèles d’action prédisent le geste suivant.
Et pour nourrir ces modèles, ça va prendre d’autres types de données. Elles viendront de la constellation de montres connectées, des voitures connectées, des frigos connectés, etc. En fait, on va voir une explosion d’objets connectés en tous genres, plus étranges les uns que les autres, jusqu’à ce qu’on atteigne une certaine normalisation de la chose.
Et en biotechnologie, on se dirige où?
Peut-être que vous n’en avez pas entendu parler autant que l’IA mais l’année 2023 a été une très grosse année pour la biotechnologie. On pourrait penser que la biotechnologie n’a pas grand chose à voir avec l’IA ou les objets connectés. Et pourtant. Amy Webb a expliqué que la biologie permet de traiter des informations d’une manière bien différente du silicium.
Début mars, un nouveau modèle d’IA qui s’appelle Evo a été lancé. Le modèle utilise le langage de la biologie, ADN, protéines, etc. Pensez à un ChatGPT mais pour des organismes. L’IA générative vous faisait peur? Imaginez la biologie générative.
Et je termine sur une note positive, après l’IA, Amy Webb dit qu’il y aura aussi l’IO: intelligence organoïde. Un organoïde est une version simplifiée d’un organe. L’intelligence organoïde permet de traiter l’information au-delà des systèmes basés sur le silicium. La pénurie de puces pourrait ne plus être un problème. Bienvenue dans l’ère des bio-ordinateurs qui fonctionnent à partir de cellules vivantes. Ce n’est pas pour demain matin mais ça s’en vient.