L’IAnxiété, le malaise contemporain

Écrit par Catherine Mathys le 21 juin 2023

En général, les discussions autour de l’intelligence artificielle font peur. Avec raison. Il se ne passe pas un mois sans qu’on annonce les prouesses spectaculaires d’une technologie qui pourrait, à terme, remplacer une fonction occupée par des humains.

On se sent désemparés par la vitesse à laquelle les choses vont. Même ceux qui sont plongés dans la veille de ces nouveautés (salutations!) sont essouflés par le rythme des nouvelles capacités de ces technologies.

Tout ceci nous plonge dans un état anxieux. Ce qui ajoute une couche d’angoisse, c’est aussi de voir les discussions entre sommités de l’apprentissage profond qui ne s’entendent pas sur les possibles répercussions d’une généralisation de l’intelligence artificielle dans toutes les sphères de la société. Quand on voit Yann Le Cun et Yoshua Bengio, qui ont remporté ensemble avec Jeff Hinton le prix Turing en 2019, l’équivalent du Nobel en informatique, être aux antipodes sur la question de l’IA qui tourne mal, on ne sait plus à quel saint se vouer.

Cet état anxieux a été qualifié par certains de AI-nxiety en anglais ou IAnxiété, pour nommer le malaise occasionné par les effets de l’intelligence artificielle sur l’humanité. Cela dit, plus souvent qu’autrement, l’IAnxiété concerne d’abord et avant tout la peur de se faire remplacer par des robots dans nos emplois.

Cette crainte du grand remplacement liée aux technologies n’est pas nouvelle. En fait, l’économiste John Maynard Kaynes parlait de “chômage technologique” dans les années 30. Il définissait le terme de la manière suivante: le chômage causé par la découverte de moyens qui permettent d’économiser le recours à la main-d’œuvre tout en dépassant notre capacité à trouver de nouvelles fonctions pour cette main-d’œuvre. C’est pas mal de ça dont il s’agit encore aujourd’hui.

Le phénomène lui-même existait bien avant, bien sûr, souvent en lien avec l’apparition d’une nouvelle technologie. Un exemple qui est souvent rapporté dans la littérature est celui des allumeurs de réverbères de New York qui ont décidé, le 24 avril 1907, de faire la grève. Cette nuit-là, les 25 000 réverbères de la ville sont restés éteints. Les seuls endroits éclairés sur l’île de Manhattan étaient autour du Central Park où des réverbères électriques avaient été installés.

L’invention de l’ampoule électrique était perçue par bien des gens comme une avancée. Mais du point de vue des allumeurs de réverbères qui allaient perdre leur emploi, il fallait se battre contre cette innovation. Ailleurs dans le monde, en Belgique, notamment, les allumeurs ont même saccagé les réverbères électriques.

Tout ceci fait écho aujourd’hui. Même si on a l’impression que des avancées sont possibles avec une nouvelle technologie, il y a toujours des gens qui écopent dans le processus. Et quand des emplois et des revenus sont en jeu, il faut s’attendre à de la résistance et à de l’anxiété. D’autant plus que cette peur n’est pas illégitime. Un récent rapport de Goldman Sachs évoque 300 millions d’emplois à temps plein qui seraient affectés d’une manière ou d’une autre par les avancées en intelligence artificielle.

La question inverse serait peut-être plus porteuse. Quels emplois sont moins à risque d’être remplacés par des machines ou mieux encore, quels emplois seront créés grâce aux avancées de l’intelligence artificielle? En effet, certains disent même que ça ouvrirait certaines opportunités qui n’existaient pas avant. D’ailleurs la plupart des emplois d’aujourd’hui n’existaient pas au début du 20e siècle. L’économiste David Autor indique que 60% des emplois actuels étaient inconnus en 1940. Selon un nouveau rapport sur l’avenir de l’emploi du Forum économique mondial, environ 23 % des emplois devraient changer d’ici 2027, ce qui inclut 69 millions d’emplois créés et 83 millions supprimés.

Revenons-en à l’IA. Un futuriste entendu à SXSW cette année, Ian Beacraft, disait : vous n’allez pas perdre votre emploi, vous allez perdre votre description de tâches.

Alors on fait quoi pour apaiser notre anxiété généralisée?

On s’informe, on apprend, on cherche à mieux comprendre. La littératie numérique reste essentielle. En comprenant mieux ce que l’IA peut et ne peut pas faire, on aura une meilleure idée de la valeur de notre contribution. L’IA ne comprend pas le contexte d’un problème, ne comprend pas l’amitié, ni l’empathie.

L’autre remède à l’anxiété est une étude de Korn Ferry qui indique qu’il va manquer 85 millions de personnes d’ici 2030 pour occuper tous les emplois disponibles. L’IA va donc aider à combler ce fossé plutôt que de prendre tous les emplois, selon l’étude. Courage, chers amis humains. Il va peut-être falloir réapprendre à devenir de meilleurs humains après avoir passé le 20e siècle à essayer de devenir des machines.

Éditorial publié initialement dans notre infolettre Télescope 03.