SXSW en un clin d’oeil

Écrit par Catherine Mathys le 20 mars 2024

Murale « Stay Funky » à Austin, Texas. Site de SXSW. Murale « Stay Funky » à Austin, Texas. Site de SXSW.

La 38e édition du Festival SXSW qui se tient chaque année à Austin au Texas vient de prendre fin. Dès la première journée, l’événement semblait avoir repris sa pleine vigueur pré-pandémique. Les chiffres de 2024 ne sont pas encore connus mais le tourbillon de conférences, ateliers, présentations, avait attiré près de 350 000 personnes d’une centaine de pays l’an dernier. Avant la Covid, c’est plus de 415 000 personnes qui étaient attendues dans la 4e ville en importance du Texas. Cette année, les foules et interminables files d’attente indiquent qu’on devrait s’approcher des chiffres des beaux jours.

Austin elle-même semble transformée depuis l’année dernière. Les gratte-ciels en construction se sont multipliés au centre-ville. La coquette rue Rainey a troqué plusieurs de ses jolis bars et boutiques pour de grandes tours en devenir.La ville n’a jamais caché ses ambitions: devenir un des épicentres des technologies aux États-Unis. On surnomme d’ailleurs la région les Silicon Hills, en rappel bien sûr à la Silicon Valley plus à l’ouest. Plusieurs grandes entreprises y ont établi leur maison-mère ou des bureaux régionaux dont Apple, Amazon, et SpaceX qui vient tout juste de s’installer près d’Austin.

Le Festival a donc grandi avec sa ville pour prendre des proportions gargantuesques en présentant des centaines de conférences, panels, présentations réparties dans 24 thématiques allant de la publicité, au design en passant par l’énergie et le travail. Mais vous l’aurez deviné, l’intelligence artificielle s’est rapidement imposée comme le fil rouge perceptible à travers la plupart des catégories. Cela dit, ce n’est pas toujours ce qui a retenu mon attention. Voici quelques faits saillants qui y sont parvenus.

Le supercycle de technologies

Amy Webb du Future Today Institute a présenté son 17e rapport annuel sur les tendances en matière de technologie. Elle décrit les avancées majeures des dernières années dans les domaines de l’IA, des objets connectés et de la biotechnologie comme étant les plus marquantes mais c’est plutôt la convergence de ces trois domaines qui l’intéresse. C’est ce qu’elle appelle un supercycle de technologies, c’est-à-dire un moment de grande demande et de prix démesurés qui marque un moment de transformation de notre système économique.

Selon Amy Webb, dans ce supercycle, les progrès d’un des trois domaines mentionnés ont une influence directe sur les autres technologies qu’elles soient au sport, à l’aérospatiale, aux affaires, etc. C’est pour cette raison qu’elle affirme que l’intensité de la vague de changements à venir va bel et bien changer le visage de notre société. Nous le sentons tous.

Et pourtant, dit-elle, les personnes responsables de prendre des décisions semblent paralysées par une anxiété envahissante. Les changements semblent si importants que les horizons de planification raccourcissent. Toutes les décisions prennent leur source dans la peur, l’incertitude ou le doute car le futur semble abstrait. Nous sommes, précise Amy Webb, la génération T pour transition.

Cette génération, bien que bouleversée par les transformations en cours, peut et doit se retrouver pour construire la suite de l’histoire. Mme Webb indique que  la prospective peut aider à envisager le futur et créer la résilience corporative nécessaire pour passer à travers la tempête.

Le futur du travail

La session de Ian Beacraft portait sur le futur du travail. D’entrée de jeu, il a annoncé qu’on allait faire exploser certaines choses, sans donner de précision. La suite lui a donné raison. Dans quelques années, a-t-il expliqué, on parlera de l’IA comme on parle du numérique. L’IA ne sera plus un avantage compétitif, elle sera tout simplement là, faisant partie de l’écosystème du travail.

Les humains ont de la difficulté à envisager et s’adapter aux changements exponentiels de notre époque.Notre pensée linéaire ne comprend pas cette soudaine accélération. Selon Beacraft, d’ici 2050, nous aurons vécu 100 ans de progrès au rythme des transformations technologiques d’aujourd’hui.

C’est là que la loi de Martec frappe les organisations de plein fouet. Cette loi rappelle que la technologie évolue à un rythme que les entreprises ne peuvent tout simplement pas suivre. Alors comment mener des organisations à évolution lente dans un contexte technologique rapide ? Les modèles d’IA que l’on connaît actuellement vont grandement s’améliorer, potentiellement de 5 à 10 fois meilleurs d’année en année.

Nous avons donc besoin de repenser la manière dont nous organisons le travail. Comme le dit si bien Rishad Tobaccowala, le futur ne rentre plus dans les contenants du passé. Nos mesures de succès ne sont plus adaptées au contexte actuel. Ce n’est pas l’IA qu’il faut craindre, nous dit Beacraft, mais notre acharnement à préserver de vieux systèmes. Le futur du travail implique une réorganisation complète des habiletés humaines. L’ère des spécialistes tire à sa fin. Les généralistes pourront mettre leurs compétences au service de toutes les équipes d’une entreprise. L’exécution deviendra moins importante au profit de l’orchestration des ressources à notre disposition pour accomplir la tâche. Le travail sera basé sur des projets, pas des fonctions dans l’entreprise.

L’informatique spatiale

Plusieurs sessions ont positionné l’informatique spatiale (spatial computing) comme l’un des concepts les plus importants des prochaines années. C’était le cas de Neil Redding. Le concept regroupe l’ensemble des méthodes qui permettent de mêler le réel et le virtuel. C’est probablement la sortie récente du Apple Vision Pro qui a généré beaucoup d’intérêt autour de l’idée à SXSW mais Redding indique que l’idée est beaucoup plus vaste qu’un simple casque.

L’élément qui manque souvent quand on mêle le virtuel au réel à travers un casque, c’est être ensemble. Quand nous sommes les seuls à voir les objets virtuels autour de nous, nous ne partageons pas la même réalité. L’informatique spatiale permet d’interagir avec notre environnement et ceux qui nous entourent. Notre regard sélectionne des options, nos mains bougent des objets qui n’existent pas, il s’agit d’une nouvelle gymnastique à laquelle nous n’avons pas été habitués. Mais qui pourrait devenir naturelle, selon Redding.

Redding pense qu’à terme, l’informatique spatiale et l’IA pourraient générer de nouveaux environnements à partir de nos interactions. Il appelle ça le “behaviorGPT”. Au lieu d’utiliser des commandes textuelles comme avec ChatGPT, nous utiliserions notre corps pour générer du contenu virtuel. Selon lui, c’est une nouvelle manière de co-créer nos réalités partagées qui s’offre à nous.

Ce n’est qu’un bref survol d’une semaine foisonnante de découvertes, de rencontres, d’expérimentations avec des prototypes. SXSW tient encore et toujours ses promesses de nous surprendre, entourés de centaines de milliers de festivaliers qui ont envie de construire la suite ensemble. Le futur est résolument un mouvement collectif.


L’infolettre de cette semaine