À mesure que l’excitation de la rentrée scolaire s’estompe, élèves, parents, professeurs et personnel de soutien se réapproprient peu à peu leur routine. Cette accalmie représente le moment idéal pour réfléchir à l’évolution du système éducatif québécois et à la direction que nous aimerions collectivement le voir emprunter.
Dans un article datant de 2021, le World Economic Forum a proposé quatre scénarios d’évolution probables pour l’éducation au cours des deux prochaines décennies. Ces scénarios explorent diverses possibilités : une prolongation de la scolarité traditionnelle avec une individualisation accrue pour répondre aux besoins de l’industrie 4.0 ; la sous-traitance de l’éducation à des systèmes privatisés et flexibles ; des écoles transformées en centres d’apprentissage communautaire ; et un modèle d’apprentissage continu qui élimine la conception traditionnelle de la salle de classe au profit des apprentissages informels, résultant d’une autonomisation ubiquitaire de la société.
L’école complètement tech!
Tous ces futurs potentiels reposent sur une utilisation croissante des technologies, allant de l’intégration accrue d’outils technologiques en classe (réalité virtuelle, Internet des objets, etc.) à une société où l’automatisation rendrait obsolètes de nombreux apprentissages actuels.
Il n’est guère étonnant que les scénarios pour l’éducation de demain débordent d’espoirs high-tech lorsque l’on réalise que les technologies s’invitent déjà dans les modèles éducatifs actuels. Pensons par exemple à la mise sur pied par le conseiller pédagogique Stéphane Côté du robot conversationnel Emilia, alimentée par OpenAI, visant à assister les professeurs dans leurs corrections, ou encore à l’exigence d’un ordinateur personnel pour les étudiant.es dans la majorité des écoles secondaires privées de la province. La pandémie a rendu l’enseignement en ligne plus accessible que jamais, matérialisant l’idée d’une éducation décentralisée et délocalisée. Plus près de moi, un ami enseignant utilise la version éducative du jeu vidéo Minecraft en réalité virtuelle afin d’aider ses élèves à visualiser le concept de seigneuries1.
Mais si ces scénarios sont possibles et même probables, sont-ils réellement souhaitables ? L’école, ce lieu des premières rencontres prenant une si grande place dans le développement cognitif et émotionnel des jeunes, devrait-elle réellement devenir virtuelle ? Plus fondamentalement, à l’ère des IA génératives, quelles connaissances et compétences – savoir-faire et savoir-être – devrait-elle transmettre ?
Depuis le siècle dernier, l’école avait pour mission de préparer les prochaines générations au marché du travail. Étant donné les transformations radicales de ce marché, il est logique d’adapter les compétences enseignées. En 2022, la Commission des partenaires du marché du travail a élaboré le Référentiel québécois des compétences du futur, où les compétences non-techniques (soft-skills) telles que l’autonomie et la gestion du changement sont prépondérantes. Ce référentiel souligne déjà un décalage entre le cursus actuel et les compétences nécessaires.
Mais allons encore plus loin : si l’autonomisation permet d’atteindre des gains massifs en productivité et de réduire considérablement les semaines de travail, quel rôle pourrait alors jouer l’école ?
L’école pour le bien commun
Dans son livre The Next 100 Years, Pavel Luksha, fondateur et directeur du groupe de réflexion Global Education Futures, propose que pour réellement repenser le système éducatif, il faut s’interroger sur notre vision globale de la société de demain. Avant de déterminer comment former les futures générations, il est primordial d’avoir une vision claire de ce que nous souhaitons pour demain !
Ainsi, Luksha suggère qu’une réelle refonte du système éducatif passera premièrement par la construction d’une vision commune et unifiée du futur, vision pour le moment absente des processus décisionnels entourant le modèle éducatif québécois.
L’auteur avance tout de même quelques pistes de réflexion : l’école pourrait par exemple apprendre l’art du dialogue et de la pensée critique, permettant aux individus d’acquérir les compétences nécessaires pour adopter des perspectives diverses et communiquer efficacement entre eux. Les écoles deviendraient donc des « refuges » de la libre pensée invitant aux discussions constructives et ouvertes. Luksha évoque aussi l’idée d’un système éducatif basé sur l’empathie à tous les niveaux, mettant l’accent sur la promotion d’une culture de non-violence et contribuant à créer des sociétés, où l’harmonie et le respect d’autrui prône.
Si ces suggestions semblent relever de l’utopie, je crois réellement qu’il faut savoir rêver grand pour imaginer de nouveaux futurs. Si la forme et les modalités de l’école ont été appelées à changer, il serait illusoire de penser que sa vocation est pour sa part immuable.
Trouver cette nouvelle vocation est un défi de taille. Le mathématicien Stephen Wolfram proposait récemment d’inclure des philosophes lors des réflexions entourant l’IA – peut-être gagnerions-nous à en inclure un peu partout ?
1Notons que Minecraft est utilisé depuis longtemps dans le milieu éducatif. Un article de Radio-Canada datant de 2015 faisait mention de l’utilisation du logiciel dans plusieurs pays en contexte scolaire. C’est donc l’ajout du volet réalité virtuelle qui est ici souligné (et le bon travail de mon ami par le fait même).