Est-ce le début de la fin de Google?

Écrit par Catherine Mathys le 2 octobre 2024

Photo par Adarsh Chauhan sur Unsplash.

Le 5 août 2024 est un jour historique. Un juge américain a décidé que Google avait agi illégalement pour écraser ses concurrents et maintenir un monopole sur la recherche en ligne. Les États-Unis ont affirmé que Google payait des dizaines de milliards de dollars par an pour qu’Apple, Samsung, et d’autres pré-installent Google comme moteur de recherche par défaut sur toutes les plateformes.

C’est un coup dur pour Alphabet, la société mère de Google, et ce n’est pas terminé. Un deuxième procès antitrust opposant Google au ministère américain de la Justice a débuté le 9 septembre. Cette fois-ci, c’est la publicité qui est au cœur de l’histoire. Est-ce que Google a illégalement monopolisé le secteur de la publicité numérique? L’affaire pourrait avoir des implications considérables parce que bien sûr, la publicité est la principale source de revenus de Google mais aussi pour bien d’autres acteurs numériques. 

Contrairement au premier procès, le ministère de la Justice cherche des solutions spécifiques qui obligeraient Google à démanteler certaines parties de ses activités et à céder une partie de sa technologie publicitaire. Les éditeurs de sites Web qui cherchent à gagner de l’argent grâce à la publicité s’appuient sur cette technologie pour agir comme une sorte d’intermédiaire, permettant aux sites de vendre des publicités sur leurs pages et aux annonceurs d’acheter de l’espace publicitaire pour atteindre des clients potentiels. Google s’accapare alors d’une part importante des dollars publicitaires des deux côtés.

Comment Google est devenu la référence

L’analyste Benedict Evans dit que le monde de la recherche en ligne est pris dans dans un cercle vicieux. Tout le monde utilise Google parce que ce moteur donne les meilleurs résultats, et il a les meilleurs résultats parce que tout le monde l’utilise, et il a donc l’argent à investir pour obtenir des résultats encore meilleurs. 

À cela s’ajoute l’ampleur de l’infrastructure nécessaire pour indexer et analyser l’ensemble du Web (Apple estime que cela coûterait 6 milliards de dollars par an pour égaler Google, en plus de ses dépenses existantes en matière de recherche et d’indexation), ce qui empêche les startups financées par du capital de risque d’entrer sur le marché. Et même si elles en avaient les moyens, elles n’auraient pas le volume de requêtes de Google et donc elles n’auraient pas la qualité des résultats de Google. Dans le monde de la technologie, cela s’appelle un effet de réseau ; en économie, ça s’appelle un monopole.

Mais Benedict Evans indique que le premier procès met en lumière un deuxième cercle vicieux: tout le monde utilise Google parce que c’est l’option par défaut, c’est l’option par défaut parce que c’est le meilleur et parce que Google verse à d’autres entreprises technologiques des milliards de dollars par an en parts de revenus sous forme de « coûts d’acquisition de trafic » pour en faire l’entreprise la plus performante.

En 2022, Google a versé à Apple environ 20 milliards de dollars (environ 17,5 % du bénéfice d’exploitation d’Apple et une part des revenus de 36 %) en plus des autres milliards versés aux autres entreprises. Ce que ça veut dire, c’est qu’au États-Unis, 50 % des recherches ont lieu sur des plateformes pour lesquelles Google a un contrat qui place son produit par défaut. Or, on le sait bien, à moins que l’option par défaut soit terrible, on la garde. Surtout que dans le cas de Google, l’option était souvent meilleure, pour les raisons qu’on vient d’évoquer. 

L’histoire se répète (encore)

Nicholas Thompson, le rédacteur en chef de The Atlantic, a fait une petite vidéo sur LinkedIn récemment pour montrer les parallèles qu’on peut faire entre le procès antitrust de Microsoft en 1998 et celui de Google cette année. D’ailleurs, dans le dans la décision de 277 pages rendue en août par le juge Amit Mehta, on mentionne Microsoft 266 fois

Dans le cas de Microsoft, le tribunal a jugé que l’entreprise monopolisait les systèmes d’exploitation – en partie grâce à des accords exclusifs illégaux avec des fabricants d’ordinateurs et des fournisseurs d’accès Internet – et a ordonné sa scission en deux entités. Tous les accords de Microsoft ont contribué à maintenir les concurrents, comme Netscape, ou tout autre rival, dans une position inférieure. C’est exactement ce qui se passe avec Google, les accords de distribution de Google ont limité le volumes de requêtes de ses concurrents, mettant Google à l’abri d’une véritable menace concurrentielle.

Microsoft a fait appel de la décision et le département de la justice a fini par s’entendre avec elle en 2001. Le règlement a interdit à l’entreprise de conclure des accords avec des fabricants de PC et des fournisseurs d’accès Internet. Il a également obligé Microsoft à partager des parties de son code source alors privé avec d’autres développeurs de logiciels afin qu’ils puissent rendre leurs applications disponibles sur Windows.

Le ministère de la Justice n’a pas encore proposé de remède aux actions de Google, ce qui devrait venir en août 2025. Une variété de résultats sont possibles, mais plusieurs s’attendent à voir une interdiction des accords de distribution exclusive de Google, compte tenu de l’issue de l’affaire Microsoft.

Est-ce qu’on pourrait (enfin) voir apparaître de nouveaux moteurs de recherche?

À l’époque, l’accord conclu entre Microsoft et la justice américaine avait marqué le début de la fin de son navigateur autrefois dominant, Internet Explorer. On ne sait pas si l’on peut en dire autant de la recherche Google, qui a jusqu’à présent réussi à tirer son épingle du jeu. Mais la question se pose: est-ce que Google va connaître le même sort qu’Internet Explorer?

En tous cas, une interdiction des accords exclusifs de Google saperait sa domination et permettrait à des concurrents d’émerger, surtout à un moment de l’histoire où l’IA revampe notre manière de faire des recherches sur le web. OpenAI a récemment dévoilé son propre moteur de recherche, SearchGPT. D’autres, comme Arc Search sont également dans la course et il y en aura sûrement d’autres. Certains évoquent la possibilité qu’Apple puisse développer son propre moteur de recherche mais c’est peu probable, en tous cas, pas sur le modèle classique du moteur de recherche. N’oublions pas qu’Apple risque de devoir se passer du petit chèque de 20 milliards par année de Google. 

L’histoire récente des technologies nous montre que tout est cyclique et que les géants de la recherche en ligne finissent par tomber au profit de plus petits qui deviennent ensuite des géants et ainsi de suite. Est-ce que le passé nous donne à nouveau un aperçu d’un futur possible?


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